À qui profite l’aide méthodologique ?
Michel
Grangeat - Article paru dans le n° 336 des Cahiers
pédagogiques (1995)
http://www.cahiers-pedagogiques.com
L'aide
méthodologique, tout comme la différenciation de la pédagogie, tient à la
volonté de gérer l’hétérogénéité des élèves dans le souci d’une réussite plus
équitable. Cependant, quand des procédures d’aides méthodologiques sont
instaurées, elles semblent, parfois, bénéficier essentiellement aux élèves qui
réussissaient déjà sans elles. C’est ce que nous avons cherché à vérifier avec
des classes de 6° appartenant à deux collèges de Z.E.P.
Des
recherches actuelles, nous avons déduit trois conditions pour bâtir une aide
méthodologique susceptible d'efficacité. Il s'agit, d'abord, d'accorder une
importance primordiale au sens que l’élève peut attribuer aux situations
scolaires : cela conduit à valoriser l'harmonisation des pratiques des
différents enseignants, et, aussi, leur explicitation aux élèves et aux
familles de manière à renforcer l’objectivation des savoirs enseignés. Ensuite,
il convient de développer l’attribution, à l’élève lui-même, du contrôle de ses
tâches : si ce dernier demeure toujours extérieur au sujet, l’attitude
consistant à s’en remettre au jugement d’autrui pour évaluer ses actes sera
renforcée et l’effort de compréhension des exigences de la tâche compromis.
Enfin, il faut tenter d'accroître l’aptitude à coordonner plusieurs stratégies
: les activités scolaires doivent permettre à l’élève de combiner plusieurs
méthodes afin de stimuler sa réflexion sur ses plans d’action.
Outils pour une aide
méthodologique.
Des
conditions précédentes, on peut tirer autant de types de procédures
susceptibles d’apporter une aide méthodologique.
Le
premier type d’activité visera à éclairer les régularités existant d’une
situation scolaire à l’autre, afin d'en augmenter le sens. Dans l'un des
collèges étudiés, cette activité est incarnée par l’emploi d’une grille
explicitant les liens entre objectifs pédagogiques, activités d’enseignement et
évaluation. Un deuxième instrument pourrait prendre la forme d’une fiche
permettant à l'élève de dégager ce qui, au cours d’une séance antérieure, était
essentiel, ce qui l'avait intéressé, ou au contraire avait posé des
difficultés. En répétant ce questionnement régulièrement, on peut penser que
les élèves se dégageront progressivement d’une perception instantanée et fugace
des diverses activités disciplinaires. Si plusieurs enseignants coopèrent, les
invariants observables d’une matière à l’autre seront mis en évidence, ce qui
sera particulièrement utile à la compréhension des activités intellectuelles
communes à plusieurs disciplines.
Le
contrôle autonome des tâches, lui, est pris en considération dans la grille
objectif/activité/évaluation évoquée plus haut. Les enseignants du deuxième
collège étudié stimulent cette auto-régulation par l’organisation de travaux en
dyades, au cours desquels une paire d’élèves doit fournir une réponse commune
et négociée à un problème donné. Là encore, d’autres outils pourraient être utilisés.
Il pourrait s'agir d'une fiche dédiant à l’élève le choix du groupe de besoin
qui lui convient, pour peu qu’une telle différenciation de la pédagogie soit
pratiquée. Cela pourrait être une réflexion sur l'attitude en classe qui
conduirait à négocier les règles de vie collectives indispensables à
l’apprentissage ou à éclairer des comportements efficients face aux nouveautés
et aux obstacles cognitifs.
Enfin,
la coordination de plusieurs stratégies s’impose lors des travaux en dyades
évoqués ci-dessus, mais quelques outils plus formels peuvent être employés.
Issue d'une réflexion en classe, une fiche peut dégager diverses méthodes pour
comprendre, retenir et utiliser tel type de leçon. L’important étant de montrer
qu’il n’existe aucune manière absolue pour apprendre mais que tout dépend du
sujet et de l’objet d’apprentissage. Un autre type d'aide consisterait à
fournir à l'élève, régulièrement et suffisamment à l'avance, toutes les
informations sur le travail qu'il aura à fournir dans la semaine à venir, afin
qu'il puisse réellement anticiper et planifier les moments qu’il consacrera à
son travail personnel.
Ces
trois types d’outils, dans la mesure où ils impliquent une prise de recul par
rapport aux apprentissages, procurent une aide méthodologique développant la
réflexion métacognitive. Toutefois, ces procédures pédagogiques ne
profitent-elles pas surtout aux élèves les plus performants ? C’est ce que l’on
peut tenter d’évaluer grâce à l’expérience d’enseignants de sixième de deux
collèges de Z.E.P.
Évaluation, différenciation,
aide méthodologique.
Dans
ces établissements, l’évaluation d’entrée en 6° a été utilisée pour fournir un
point de départ aux processus de différenciation et d’aide méthodologique,
considérés comme indissociables. Un échantillon d’items a été analysé, non
seulement en fonction de leur contenu notionnel, mais, également, en fonction
du mode de structuration de leur énoncé et de la nature de l’activité
intellectuelle vraisemblablement mobilisée. Cette analyse recherchait les domaines
de réussite des élèves de manière à détecter des points d’appui suffisamment
stables pour bâtir les actions d’aide envisagées. Elle a montré que de nombreux
élèves, considérés en difficulté si l’on s'en tient aux résultats
disciplinaires, réussissent cependant, lorsque le contexte de l’énoncé est tout
à fait explicite ; à l’inverse, certains élèves performants échouent dès que
l’énoncé nécessite des inférences ou des coordinations d’opérations. Cette
analyse a permis, également, d'identifier trois opérations mentales qui
induisaient des taux de réussite significativement différents : l’une consiste
à repérer un élément dans un contexte et à le relier à une catégorie, l’autre à
appliquer une règle ou une procédure et la dernière à mobiliser ses connaissances
dans une recherche non routinière. La première de ces activités était maîtrisée
par les deux tiers des élèves mais la dernière constituait un objectif à
atteindre pour la majorité d’entre eux.
Dans
l’un des collèges, une équipe de professeurs de mathématiques, utilisant la
propension des élèves à repérer les éléments explicites des situations, s’est
attachée à élucider au maximum ses objectifs pédagogiques, ses procédures
d’évaluation et ses actions de différenciation. L’aide méthodologique qui a été
fournie aux élèves est incarnée par l'utilisation régulière de la grille
objectif/activité/évaluation évoquée plus haut. Cette fiche permet à l’élève,
d’une part, de faire le lien entre les objectifs de l’enseignant et les
activités pratiquées en classe, et, d’autre part, d’auto-évaluer sa maîtrise
des objectifs cités et d’anticiper le contenu de l’évaluation finale. Cette
procédure d’aide est couplée à la différenciation puisque des groupes de besoin
reprennent les objectifs indiqués dans la fiche.
Dans
l’autre collège, des professeurs de différentes disciplines ont déterminé des
tâches nécessitant la même activité mentale ; celles-ci sont proposées aux
élèves dans la même période de l’année, sous forme de travail en dyades.
L’écart entre les deux élèves du groupe, estimé à partir des résultats à
l’évaluation initiale, provoque une confrontation de points de vue mais demeure
suffisamment réduit pour stimuler la collaboration en vue de la recherche d’une
réponse commune. Régulièrement pratiqué, ce mode de travail conduit les élèves
à enrichir et coordonner leur répertoire méthodologique. Outre cette
harmonisation autour des activités mentales, des groupes de soutien sont
instaurés en collaboration avec la SEGPA.
Afin
d’évaluer la portée de ces procédures, dans ces deux collèges et dans un
troisième servant de témoin, nous avons observé les évolutions de trois
échantillons appariés, de 40 élèves chacun. Six mois après la rentrée, les
échantillons des deux collèges innovants ont progressé significativement en
moyenne et la dispersion des résultats autour de cette moyenne a diminué,
contrairement au collège témoin. Cette différence s’explique par la nette
progression des élèves en grande difficulté des collèges innovants alors, qu’à
l’inverse, une scission se produit entre eux et le reste des classes témoins.
De plus, il est notoire que dans les deux collèges étudiés, les élèves qui
réussissaient bien à la rentrée obtiennent, lors du test final, des résultats
supérieurs en moyenne à ceux de leurs homologues des classes témoins. Il
semble, enfin, que le travail en dyades autour d’activités mentales harmonisées
soit profitable aux élèves qualifiés de “moyens forts”. Par contre, les
progressions de ceux dits “moyens faibles”, semblables dans les trois collèges,
conduisent à tenter d’améliorer le dispositif.
Des profits partagés… et
d’autres insoupçonnés.
Il
est donc indéniable que ces dispositifs bénéficient aux élèves en difficulté
qui voient leurs résultats augmenter significativement. Dans le premier
collège, cette amélioration paraît imputable à une optimisation de la maîtrise
des situations dont les éléments sont explicites ; celle-ci traduit la capacité
à discriminer de telles tâches afin de s’y impliquer pour réussir,
discrimination qui demeure absente chez les élèves témoins. Cette implication
se retrouve au niveau des groupes de besoin : ces élèves savent ce qu’ils
viennent y chercher et peuvent l’énoncer. Cette attitude semble gommer
l’opposition, bien connue des enseignants de banlieue, entre “intellos” et “nuls”
et ceci n’est pas le moindre bénéfice des dispositifs étudiés.
Les
élèves performants ne bénéficient vraisemblablement pas directement de l’aide
méthodologique puisqu’ils savent, seuls, élucider les objectifs pédagogiques ou
établir des liens entre activités d’enseignement et évaluation. Par contre, ils
tirent certainement profit de l’amélioration de la cohésion cognitive de la
classe et des groupes de besoin où ils peuvent réduire leurs défaillances
passagères.
Le
progrès est, par contre, moins net pour les élèves moyens ; cependant, le fait
qu’ils semblent profiter du travail en dyades est significatif. En effet, si
ces élèves demeurent dans la moyenne des classes, c’est grâce à d’effectives
méthodes de travail mais leur difficulté tient souvent à leur incapacité
d’adapter telle méthode éprouvée à telle tâche particulière ou à celle d’en
coordonner plusieurs ; c’est pourquoi, la confrontation de points de vue, au
cours d’une co-élaboration en petit groupe, semble leur être si profitable.
Ainsi,
les dispositifs d’aides méthodologiques étudiés ici, bien qu’ils doivent encore
être peaufinés, bénéficient nettement aux élèves en difficulté. Cependant, ni
ils n’avantagent, ni ils pénalisent, les élèves qui réussiraient même sans eux.
De
plus, il semblerait que les enseignements eux-mêmes soient bousculés par
l’instauration de telles procédures pédagogiques. En effet, publier ses
objectifs pédagogiques, en les harmonisant avec ceux des collègues, oblige à
interroger les contenus notionnels des disciplines ; ceci beaucoup plus
profondément, par exemple, que l’établissement d’une programmation annuelle qui
peut se contenter d’une connaissance des programmes officiels. Rechercher
l’opération intellectuelle nécessaire à la réussite des tâches proposées, en
faisant correspondre plusieurs disciplines, conduit à s’écarter des exercices
routiniers et à élaborer de réelles situations-problèmes. Instaurer des groupes
de besoin, ou de remédiation, pose à l’enseignant le problème de ses propres
stratégies pédagogiques, puisqu’il doit en déterminer d’autres, non
immédiatement naturelles pour lui peut-être, mais bénéfiques à certains élèves.
Ainsi,
le couplage de l’aide méthodologique et de la différenciation de la pédagogie
semble nous conduire, nous enseignants, à prendre du recul par rapport à nos
méthodologies d’enseignement… à notre plus grand profit ?
Objectif apprendre. Un dispositif de différenciation au cycle III
Michel
Grangeat - Article paru dans le n° 321-322 des Cahiers pédagogiques (1994)
http://www.cahiers-pedagogiques.com
Le
mode de fonctionnement qui est présenté ici est celui qui a cours, depuis trois
années scolaires, dans l’une des écoles d’application associées au centre IUFM
de Chambéry. Ses neuf classes accueillent, à la fois, des enfants de familles
favorisées, venus de quartiers anciens en cours de rénovation, et, d'autres, en
plus grand nombre, issus de quartiers populaires construits au début du siècle.
Le projet de l'équipe éducative consiste essentiellement à faire cohabiter
harmonieusement plusieurs cultures, à permettre aux enfants de s'enrichir grâce
aux différences, et, à fournir à chacun, quel que soit son niveau de
développement, les moyens d'apprendre et de réussir à l'école.
Dans
ce but, les enseignants du cycle des approfondissements ont mis en place un
fonctionnement fondé sur l'élucidation de leurs objectifs, sur l'harmonisation
de leurs progressions disciplinaires et sur la pratique d'une pédagogie
différenciée. Ce fonctionnement est concrétisé par la publication régulière des
objectifs notionnels et par la pratique de groupes de besoin regroupant les
élèves de quatre classes.
Un fonctionnement de cycle
fondé sur la publication d'objectifs opérationalisés.
En
début de chaque année scolaire, les progressions disciplinaires de chacun des
enseignants sont confrontées et harmonisées, de manière à aborder
simultanément, quand elles sont communes aux trois années du cycle, les notions
essentielles, noyaux durs du programme dont l'appropriation déterminera la
compréhension de pans entiers de connaissances. C'est ainsi, par exemple, que
les activités scientifiques, qui font l'objet d'échanges de services, sont
planifiées ou que des thèmes de travail communs sont fixés pour les activités
de maîtrise de la langue. Un calendrier fixant ces différents moments détermine
une référence partagée par tous.
Le
rythme de ce fonctionnement est celui de la période qui dure en moyenne sept
semaines et qui court de vacances à vacances. Chaque période est découpée en
trois parties : la première pendant laquelle le travail se déroule en groupes
classes hétérogènes, la seconde durant laquelle les élèves sont répartis en
groupes de besoin et la dernière consacrée aux évaluations.
Quand
débute la période, la structure de la classe peut être qualifiée de
traditionnelle, chaque enseignant retrouvant les mêmes élèves, ses élèves, pour
toutes les activités autres que scientifiques. Cette phase d'acquisitions
notionnelles mobilise, cependant, les démarches de projet, les références à des
pratiques sociales identifiées, les moments de différenciation immédiate, ou la
réflexion méthodologique.
Entre
la troisième et la cinquième semaine de la période, selon l'âge des enfants,
les objectifs opérationnels, formulés en terme de tâches à réaliser, sont
communiqués aux élèves. Ces listes d'objectifs sont commentées collectivement
et chaque élève indique, par un système de cases à cocher, la manière dont il
pense dominer chaque objectif fixé. Ce moment est très important, pour l'élève
amené à porter un regard sur un savoir objectivé, mais, également, pour
l'enseignant qui peut, dès lors, s'appuyer sur la conscience que l'élève a de
ses propres compétences pour lui fournir les aides nécessaires. Cette liste est
alors communiquée officiellement aux parents des élèves.
CM 2 * MATHÉMATIQUES * NUMÉRATION
Ce
que je dois être capable de faire à la fin du mois d'octobre :
Je
sais écrire sous la dictée : oui un peu non
Les
nombres de neuf chiffres.
Les
décimaux qui ont deux chiffres après la virgule.
Je
sais décomposer :
Un
nombre entier [ 40 506 = (4 x 10 000) + (5 x 100) + (6 x 1) ]
Un
nombre décimal : [ 40,56 = (4 x 10) + (5 x 0,1) + (6 x 0,01) ]
Je
sais ranger dans l'ordre croissant :
Cinq
nombre entiers.
Cinq
nombres décimaux.
Exemple
de grille d'objectifs.
Après
ces deux phases, s'organise la répartition en groupes de besoin dont les thèmes
ont été fixés en conseil de cycle par les enseignants. Au fur et à mesure de
son avancée dans le cycle, l'élève est amené à choisir lui-même le groupe qui
lui convient pour une période donnée. Les élèves qui ont besoin, non pas d'un
soutien, mais d'un approfondissement sont regroupés sous l'égide d'un seul
enseignant ; les autres bénéficient alors d'effectifs un peu allégés. Pendant
deux semaines par période, sept à huit matinées sont ainsi consacrées au
travail en classes éclatées pour une séance de français et une de
mathématiques, durant quarante minutes chacune.
Suite
à ces groupes de besoin ont lieu les évaluations portant sur des thèmes pour
lesquels l'enfant commence à posséder un certain recul du fait du travail
antérieur et des réflexions qu'il a été amené à conduire. Les consignes des
exercices d'évaluation, qui portent, naturellement, sur les objectifs
communiqués aux élèves, sont exprimées dans les mêmes termes que ces derniers,
ceci afin de faciliter le rapprochement entre ce qui est évalué et ce qui a été
appris.
Après
les évaluations, l'enfant colorie les cases en regard de chaque objectif, soit
en vert, si la réussite à l'exercice correspondant a été totale, soit en
orange, si celle-ci n'a été que partielle, soit, enfin, en rouge, en cas
d'échec. Un entretien individuel, appuyé sur cette "photographie
tricolore" permet de faire le point sur l'état des connaissances de
chacun, sur ses méthodes de travail et sur son comportement en classe. La
période suivante tentera de remédier aux difficultés persistantes.
Un dispositif bénéfique, à
plusieurs égards ...
Bien
que l'équipe enseignante ait été modifiée plusieurs fois, ce mode de
fonctionnement perdure ce qui permet de penser qu'il est pertinent. Il est
intéressant, par contre, de s'interroger sur la portée de la publication des
objectifs de chaque période. Les recherches que nous avons pu mener montrent
que cette communication des objectifs aux élèves favorise leur réussite et cela
de plusieurs manières :
-
elle stimule l'automotivation. Concrétiser l'écart entre ce qui est attendu par
l'enseignant et sa propre performance par un codage facilement lisible incite
l'élève à l'action. Cette aide fonctionne bien avec les élèves obtenant
certaines réussites ; elle est également profitable aux élèves en difficultés
dans la mesure où la médiation de la grille d'objectifs peut contribuer à
diminuer la part affective et irrationnelle qui régit, souvent, les rapports entre
eux et l'enseignant.
-
elle aide à donner du sens à l'enseignement dans la mesure où elle fournit des
informations pertinentes sur la tâche à réaliser. Cet appui est bénéfique aux
élèves en difficultés, qui ne savent pas, seuls, décoder la situation éducative
afin de repérer les points sur lesquels doivent porter leurs efforts. Les
parents des élèves apprécient également ce dispositif, apparemment pour la même
raison : ils se représentent beaucoup mieux les attentes des enseignants.
-
elle permet d'attester les réussites et d'identifier les lacunes, dans des
domaines cognitifs circonscrits. Ainsi se constitue le substrat indispensable à
une réelle différenciation de la pédagogie. Dans ce sens, la communication des
objectifs, telle qu'elle est conçue ici, est très profitable aux élèves
fréquemment en difficultés. Ces élèves sont, de plus, très favorables aux
groupes de besoin où ils trouvent que l’on respecte mieux leur rythme de
travail, mais aussi, où ils osent poser des questions qui, à leurs yeux, les déconsidéreraient,
vis à vis de leurs camarades plus débrouillés et, enfin, où ils reprennent les
notions difficiles sous un autre angle et avec un autre adulte que leur
enseignant habituel.
Cette
importance des groupes de besoin permet, aux élèves en difficultés, de ne
jamais recommencer une année complétement "à l’identique" ; de plus,
ceux qui sont les plus lents, qui "se réveillent" en cours de
troisième année, peuvent éviter le "redoublement", grâce à la marge
de flottements autorisée par l’organisation en cycle.
Les
enseignants apprécient surtout, dans ce dispositif dont ils ont l’entière
maîtrise, l’apport du travail d’équipe qui, une fois passée la fastidieuse mise
en route, permet de gérer collectivement les situations difficiles et de rendre
les pratiques pédagogiques plus efficientes grâce à leur confrontation et à
leur harmonisation. En fin de compte, le travail leur semble plus facile, même
si la gestion du quotidien des groupes de besoin nécessiterait, vraiment,
l’adjonction d’un enseignant supplémentaire afin de réduire profitablement les
effectifs pendant cette période.
... mais non sans dérives.
Il y
a donc, dans l'entrée par les objectifs, de grands avantages pour la pédagogie.
Ils concernent la planification rationnelle des activités, l'effet rétroactif
de ce mode de fonctionnement qui se conforte lui-même une fois lancé, ou,
encore, l'ouverture d'un champ de réalisations concrètes favorable à la
concertation entre enseignants. Ces avantages contrebalancent les inconvénients
réels de cette démarche. L'écueil le plus important, est celui de la
parcellisation des savoirs. Afin de l'éviter, il convient de permettre à
l'élève de prendre du recul par rapport à ce savoir afin de réfléchir à ce qui
est appris et à la manière de réussir. C'est, d'ailleurs, ce que font
intuitivement les élèves qui réussissent et, c'est pourquoi, cette réflexion
est à instituer, pour tous, grâce à la pratique d'activités mettant en jeu la
métacognition.
Michel GRANGEAT
Chambéry,
mai 1993
COMPRENDRE pour RÉUSSIR.
Influence de la métacognition sur la réussite
Michel
Grangeat - Article paru dans le n° 320 des Cahiers
pédagogiques (1994)
http://www.cahiers-pedagogiques.com
Apprendre,
c’est comprendre, c’est "prendre avec soi" une connaissance nouvelle
pour en faire un savoir personnel ; cela exige un questionnement sur cette
connaissance et sur la manière de l'acquérir, nommé métacognition. Pratiquée
intuitivement par les élèves qui réussissent, cette réflexion est à instituer
pour tous. Ce texte étudie son influence en prenant l’exemple de classes de
sixième d’un collège de Zone d’Éducation Prioritaire.
Dans
l’établissement étudié, une recherche a été menée avec des professeurs qui se
sont concertés, tout au long de l'année scolaire, pour rendre plus cohérent
leur dispositif d’enseignement en développant cinq points du projet
d’établissement : utiliser l'évaluation nationale, organiser des groupes de
besoin, déterminer les difficultés d'ordre méthodologique, publier des
objectifs notionnels et instaurer un climat respectueux d'autrui. L'attribut
commun à toutes ces actions, c'est la centration sur la réflexion par rapport à
la manière d'apprendre, c'est la prise de recul par rapport aux connaissances
enseignées. Cette attitude est constitutive de la métacognition, qui recouvre,
cependant, un domaine beaucoup plus large ; néanmoins, nous pouvons chercher si
ce dispositif d'enseignement, fondé sur une attitude de métacognition, améliore
la réussite des élèves.
Utiliser l’évaluation
d’entrée en sixième
Pour
tester la validité de ces actions, la recherche est centrée sur trois classes
dont les professeurs de français et de mathématiques répartissent, une fois par
semaine, leurs élèves en groupes de besoin. Afin de mieux éclairer l'intérêt de
ces pratiques pédagogiques, leurs résultats ont été comparés à ceux d'un
groupe, servant de témoin, sélectionné dans un collège semblable à celui où se
déroule la recherche mais où les professeurs ne pratiquent pas, de manière
concertée, d’activités de métacognition ou de différenciation.
Pour
mesurer l'évolution de la réussite, l'évaluation d'entrée en sixième a été
choisie afin d'alléger au maximum les contraintes dans les classes, et, de
situer la recherche au niveau de ce qui peut être entrepris par toute équipe
pédagogique désireuse d'améliorer ses pratiques. Tous les exercices n’étant pas
pertinents pour tester la validité de l’hypothèse, quatre d’entre eux,
nécessitant un traitement de l'information, ont été sélectionnés dans la partie
mathématique de l'évaluation (n° 3, 4, 7 et 36 de l'année 1992). Comme ils
mobilisent peu la restitution de connaissances ou la reproduction de
procédures, ce n’est pas simplement l’enseignement mathématique qui est évalué
ici mais plutôt la capacité à construire un raisonnement. À la fin du second
trimestre, un test final, aux structures identiques à celles du test d'entrée,
contrôle l'évolution des résultats.
L’équipe
pédagogique a décidé de repérer les élèves grâce à trois catégories : la A pour
les élèves ayant un nombre de réussites supérieur à 8 items sur 11, la B pour
ceux dont le score est compris entre 8 et 6, et la C quand celui-ci est
inférieur à 6.
Une progression significative
Dans
le collège étudié, les résultats à ces évaluations montrent une amélioration
significative des réussites : la catégorie C passe de 29%, en septembre, à 14%,
en avril, soit une baisse de 15%. Cette amélioration est confortée par l’étude
du nombre d’items réussis qui montre une sensible progression des réussites
(30% des élèves gagnent au moins 2 points) ; cette évolution s’accompagne d’une
faible proportion d'enfants qui régressent (4% perdent au moins de 2 points).
Dans
le collège témoin également, l'amélioration de la réussite est attestée.
Toutefois, passant de 18 à 7%, la catégorie C diminue moins que dans le collège
étudié (11%). L’étude du nombre d’items réussis montre, d’ailleurs, une
proportion non négligeable d'enfants qui régressent (12% perdent au moins 2
points) et, simultanément, une progression des élèves plus sensible que dans le
collège observé (35% de l'effectif).
De
manière à affiner la comparaison, deux échantillons identiques d’élèves avaient
été sélectionnés en appariant leurs résultats à l’évaluation de septembre.
L'évolution de ces élèves confirment les tendances observées dans les classes :
la réduction de la catégorie des élèves en difficultés, notamment, qui est
moindre dans le collège servant de témoin. Initialement, la catégorie C
représentait 23% des échantillons ; en avril, elle ne représentait plus que 4%
de celui du collège étudié, contre 11% pour le collège témoin. Ceci est
confirmé par l’étude du nombre d’items réussis.
Ces
résultats corroborent ceux d'études sociologiques qui montrent "que les
scolarités au collège accentuent encore les écarts existant à l'entrée, les
élèves initialement les plus forts progressant davantage que les élèves
initialement les plus faibles" *.
Réduire l’hétérogénéité
Nous
pouvons donc conclure que les actions menées dans le collège étudié contribuent
à réduire l'hétérogénéité en diminuant la divergence de résultats entre ceux
qui ont de plus en plus de réussites et ceux qui, sans ces dispositifs de
différenciation et la réflexion de l’équipe éducative, s'enfermeraient dans les
difficultés.
Cette
différence de résultats est accentuée par l'écart de composition sociologique
entre les deux collèges. En ce qui concerne les critères généralement observés
(l'âge, l’origine géographique, et la proportion d'enfants issus de catégories
sociales "défavorisées"), les deux échantillons sont semblables ; par
contre, ils divergent si l'on compare la catégorie socioprofessionnelle de la
mère et la composition de la famille. Or, des analyses récentes montrent qu'à
niveau de ressources culturelles global comparable, c'est dans les familles où
la mère est la plus instruite que les enfants réussissent le mieux. Dans les
deux échantillons, la proportion de mères appartenant aux catégories
socioprofessionnelles moyennes ou favorisées passe de 17% pour le collège
étudié à 42% pour le collège témoin ! De plus, à milieu social égal, l'influence
du nombre d'enfants par famille est déterminante ; les enfants de familles n'en
comportant qu'un ou deux ayant une meilleure réussite*.
Or, entre les deux échantillons, les compositions familiales sont opposées :
dans le collège étudié 70% des familles ont plus de deux enfants, alors que,
dans l'autre, 62% en ont deux, au plus !
Ainsi,
malgré la similitude des grands critères de répartition, l'amélioration des
réussites scolaires s'effectue, pour le collège de ZEP où se déroule la
recherche, avec un handicap lié à des facteurs sociologiques fins, mais
déterminants : la catégorie socioprofessionnelle des mères, donc leur niveau
d'instruction, et la taille des familles, donc les conditions de travail des
élèves à la maison. Ce qui justifie totalement les structures d'aide au travail
personnel des élèves.
Un perfectionnement
envisageable
L'analyse
fine des résultats des actions menées atteste donc de l'amélioration de la
réussite dans le collège où se déroule la recherche et la comparaison des deux
établissements laisse apparaître quelques résultats essentiels :
-
dans les deux groupes, les résultats s'améliorent, mais, dans le collège
étudié, la proportion d'élèves en difficulté ou en échec reste importante,
comme dans toute Zone d'Éducation Prioritaire.
-
l'action menée par les professeurs de ce collège, visant à prendre du recul par
rapport à l'acte d'apprendre, permet de réduire notablement l'hétérogénéité des
élèves en diminuant fortement la proportion d'enfants en difficulté et,
également, en annulant quasiment la part de ceux qui régressent entre les deux
évaluations.
- la
part des élèves qui progressent, dans le collège étudié, semble en deçà de
celle du collège témoin, ce qui montre qu'un perfectionnement de l'action est
envisageable. Celui-ci devrait se structurer autour d’une dévolution plus
organisée des activités métacognitives en direction des élèves eux-mêmes.
Ce que pensent les élèves à
propos des actions menées
Quelques
élèves ont été interrogés dans le but d'identifier les dispositifs pédagogiques
qu'ils avaient perçus comme importants.
De
manière manifeste, l'action visant à l'amélioration du climat de
l'établissement par un meilleur respect des autres est très appréciée des
élèves de sixième qui ont fait des progrès. Pour eux, "la discipline, ça marche"
car cela permet de mieux écouter en classe et, donc, de mieux comprendre.
Les
groupes de besoin leur sont utiles car ils permettent de "faire beaucoup
d'activités". Cependant, deux élèves n'avaient pas perçu le lien entre le
travail de ces groupes et le développement du cours. Après réflexion, ils
comprennent que les activités des groupes de besoin devançaient et préparaient
la leçon. Lever l'implicite du dispositif pédagogique, même le plus centré sur
les élèves, de manière à ce qu'ils en profitent au maximum semble, donc, une
réelle piste d'amélioration pour l'avenir. De plus, ces groupes de besoin leur
donnent le sentiment de "travailler mieux puisqu'il y a moins
d'élèves" mais aussi parce que les "bons" sont avec les "bons"
et les "mauvais" entre eux ; mais ils ne savent pas s'ils sont
"bons" ou "mauvais". Cette ignorance comporte un aspect
positif, elle montre que ces groupes n'étaient pas des groupes de niveau, mais,
elle est également néfaste puisqu'elle dénote un manque d'auto-évaluation.
Les
objectifs distribués en cours d'année induisent ce comportement évaluatif,
d'autant plus que ceux-ci "reviennent dans les questions du
contrôle." Reprendre la grille, remplie avant le contrôle, permet de mieux
réviser. À les entendre, ces enfants ne travaillent pas seuls et la grille
d'objectifs semble un guide pour l'adulte qui les aide. Développer, par des
pauses méthodologiques intégrées à l'enseignement, des capacités
d'auto-évaluation trace, donc, une autre piste d'amélioration de l'efficacité
des pratiques pédagogiques.
Enfin,
tous remarquent qu'ils comprennent beaucoup mieux le professeur qu'au début de
l'année scolaire ; même en insistant, ils ne pensent pas que cela soit dû à un
changement de leur part. Cette absence d'assurance, quant à sa propre pensée,
peut dégager une troisième piste d'action pour l'avenir, d'autant plus que ces
élèves sentent que, bien qu'ils écoutent, ils n'arrivent pas "à tout
garder" et qu'ils ne savent pas nécessairement déterminer l’essentiel du
cours.
Michel Grangeat