À qui profite l’aide méthodologique ?

Michel Grangeat - Article paru dans le n° 336 des Cahiers pédagogiques (1995)

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L'aide méthodologique, tout comme la différenciation de la pédagogie, tient à la volonté de gérer l’hétérogénéité des élèves dans le souci d’une réussite plus équitable. Cependant, quand des procédures d’aides méthodologiques sont instaurées, elles semblent, parfois, bénéficier essentiellement aux élèves qui réussissaient déjà sans elles. C’est ce que nous avons cherché à vérifier avec des classes de 6° appartenant à deux collèges de Z.E.P.

 

Des recherches actuelles, nous avons déduit trois conditions pour bâtir une aide méthodologique susceptible d'efficacité. Il s'agit, d'abord, d'accorder une importance primordiale au sens que l’élève peut attribuer aux situations scolaires : cela conduit à valoriser l'harmonisation des pratiques des différents enseignants, et, aussi, leur explicitation aux élèves et aux familles de manière à renforcer l’objectivation des savoirs enseignés. Ensuite, il convient de développer l’attribution, à l’élève lui-même, du contrôle de ses tâches : si ce dernier demeure toujours extérieur au sujet, l’attitude consistant à s’en remettre au jugement d’autrui pour évaluer ses actes sera renforcée et l’effort de compréhension des exigences de la tâche compromis. Enfin, il faut tenter d'accroître l’aptitude à coordonner plusieurs stratégies : les activités scolaires doivent permettre à l’élève de combiner plusieurs méthodes afin de stimuler sa réflexion sur ses plans d’action.

 

Outils pour une aide méthodologique.

Des conditions précédentes, on peut tirer autant de types de procédures susceptibles d’apporter une aide méthodologique.

Le premier type d’activité visera à éclairer les régularités existant d’une situation scolaire à l’autre, afin d'en augmenter le sens. Dans l'un des collèges étudiés, cette activité est incarnée par l’emploi d’une grille explicitant les liens entre objectifs pédagogiques, activités d’enseignement et évaluation. Un deuxième instrument pourrait prendre la forme d’une fiche permettant à l'élève de dégager ce qui, au cours d’une séance antérieure, était essentiel, ce qui l'avait intéressé, ou au contraire avait posé des difficultés. En répétant ce questionnement régulièrement, on peut penser que les élèves se dégageront progressivement d’une perception instantanée et fugace des diverses activités disciplinaires. Si plusieurs enseignants coopèrent, les invariants observables d’une matière à l’autre seront mis en évidence, ce qui sera particulièrement utile à la compréhension des activités intellectuelles communes à plusieurs disciplines.

Le contrôle autonome des tâches, lui, est pris en considération dans la grille objectif/activité/évaluation évoquée plus haut. Les enseignants du deuxième collège étudié stimulent cette auto-régulation par l’organisation de travaux en dyades, au cours desquels une paire d’élèves doit fournir une réponse commune et négociée à un problème donné. Là encore, d’autres outils pourraient être utilisés. Il pourrait s'agir d'une fiche dédiant à l’élève le choix du groupe de besoin qui lui convient, pour peu qu’une telle différenciation de la pédagogie soit pratiquée. Cela pourrait être une réflexion sur l'attitude en classe qui conduirait à négocier les règles de vie collectives indispensables à l’apprentissage ou à éclairer des comportements efficients face aux nouveautés et aux obstacles cognitifs.

Enfin, la coordination de plusieurs stratégies s’impose lors des travaux en dyades évoqués ci-dessus, mais quelques outils plus formels peuvent être employés. Issue d'une réflexion en classe, une fiche peut dégager diverses méthodes pour comprendre, retenir et utiliser tel type de leçon. L’important étant de montrer qu’il n’existe aucune manière absolue pour apprendre mais que tout dépend du sujet et de l’objet d’apprentissage. Un autre type d'aide consisterait à fournir à l'élève, régulièrement et suffisamment à l'avance, toutes les informations sur le travail qu'il aura à fournir dans la semaine à venir, afin qu'il puisse réellement anticiper et planifier les moments qu’il consacrera à son travail personnel.

Ces trois types d’outils, dans la mesure où ils impliquent une prise de recul par rapport aux apprentissages, procurent une aide méthodologique développant la réflexion métacognitive. Toutefois, ces procédures pédagogiques ne profitent-elles pas surtout aux élèves les plus performants ? C’est ce que l’on peut tenter d’évaluer grâce à l’expérience d’enseignants de sixième de deux collèges de Z.E.P.

 

Évaluation, différenciation, aide méthodologique.

Dans ces établissements, l’évaluation d’entrée en 6° a été utilisée pour fournir un point de départ aux processus de différenciation et d’aide méthodologique, considérés comme indissociables. Un échantillon d’items a été analysé, non seulement en fonction de leur contenu notionnel, mais, également, en fonction du mode de structuration de leur énoncé et de la nature de l’activité intellectuelle vraisemblablement mobilisée. Cette analyse recherchait les domaines de réussite des élèves de manière à détecter des points d’appui suffisamment stables pour bâtir les actions d’aide envisagées. Elle a montré que de nombreux élèves, considérés en difficulté si l’on s'en tient aux résultats disciplinaires, réussissent cependant, lorsque le contexte de l’énoncé est tout à fait explicite ; à l’inverse, certains élèves performants échouent dès que l’énoncé nécessite des inférences ou des coordinations d’opérations. Cette analyse a permis, également, d'identifier trois opérations mentales qui induisaient des taux de réussite significativement différents : l’une consiste à repérer un élément dans un contexte et à le relier à une catégorie, l’autre à appliquer une règle ou une procédure et la dernière à mobiliser ses connaissances dans une recherche non routinière. La première de ces activités était maîtrisée par les deux tiers des élèves mais la dernière constituait un objectif à atteindre pour la majorité d’entre eux.

Dans l’un des collèges, une équipe de professeurs de mathématiques, utilisant la propension des élèves à repérer les éléments explicites des situations, s’est attachée à élucider au maximum ses objectifs pédagogiques, ses procédures d’évaluation et ses actions de différenciation. L’aide méthodologique qui a été fournie aux élèves est incarnée par l'utilisation régulière de la grille objectif/activité/évaluation évoquée plus haut. Cette fiche permet à l’élève, d’une part, de faire le lien entre les objectifs de l’enseignant et les activités pratiquées en classe, et, d’autre part, d’auto-évaluer sa maîtrise des objectifs cités et d’anticiper le contenu de l’évaluation finale. Cette procédure d’aide est couplée à la différenciation puisque des groupes de besoin reprennent les objectifs indiqués dans la fiche.

Dans l’autre collège, des professeurs de différentes disciplines ont déterminé des tâches nécessitant la même activité mentale ; celles-ci sont proposées aux élèves dans la même période de l’année, sous forme de travail en dyades. L’écart entre les deux élèves du groupe, estimé à partir des résultats à l’évaluation initiale, provoque une confrontation de points de vue mais demeure suffisamment réduit pour stimuler la collaboration en vue de la recherche d’une réponse commune. Régulièrement pratiqué, ce mode de travail conduit les élèves à enrichir et coordonner leur répertoire méthodologique. Outre cette harmonisation autour des activités mentales, des groupes de soutien sont instaurés en collaboration avec la SEGPA.

Afin d’évaluer la portée de ces procédures, dans ces deux collèges et dans un troisième servant de témoin, nous avons observé les évolutions de trois échantillons appariés, de 40 élèves chacun. Six mois après la rentrée, les échantillons des deux collèges innovants ont progressé significativement en moyenne et la dispersion des résultats autour de cette moyenne a diminué, contrairement au collège témoin. Cette différence s’explique par la nette progression des élèves en grande difficulté des collèges innovants alors, qu’à l’inverse, une scission se produit entre eux et le reste des classes témoins. De plus, il est notoire que dans les deux collèges étudiés, les élèves qui réussissaient bien à la rentrée obtiennent, lors du test final, des résultats supérieurs en moyenne à ceux de leurs homologues des classes témoins. Il semble, enfin, que le travail en dyades autour d’activités mentales harmonisées soit profitable aux élèves qualifiés de “moyens forts”. Par contre, les progressions de ceux dits “moyens faibles”, semblables dans les trois collèges, conduisent à tenter d’améliorer le dispositif.

 

Des profits partagés… et d’autres insoupçonnés.

Il est donc indéniable que ces dispositifs bénéficient aux élèves en difficulté qui voient leurs résultats augmenter significativement. Dans le premier collège, cette amélioration paraît imputable à une optimisation de la maîtrise des situations dont les éléments sont explicites ; celle-ci traduit la capacité à discriminer de telles tâches afin de s’y impliquer pour réussir, discrimination qui demeure absente chez les élèves témoins. Cette implication se retrouve au niveau des groupes de besoin : ces élèves savent ce qu’ils viennent y chercher et peuvent l’énoncer. Cette attitude semble gommer l’opposition, bien connue des enseignants de banlieue, entre “intellos” et “nuls” et ceci n’est pas le moindre bénéfice des dispositifs étudiés.

Les élèves performants ne bénéficient vraisemblablement pas directement de l’aide méthodologique puisqu’ils savent, seuls, élucider les objectifs pédagogiques ou établir des liens entre activités d’enseignement et évaluation. Par contre, ils tirent certainement profit de l’amélioration de la cohésion cognitive de la classe et des groupes de besoin où ils peuvent réduire leurs défaillances passagères.

Le progrès est, par contre, moins net pour les élèves moyens ; cependant, le fait qu’ils semblent profiter du travail en dyades est significatif. En effet, si ces élèves demeurent dans la moyenne des classes, c’est grâce à d’effectives méthodes de travail mais leur difficulté tient souvent à leur incapacité d’adapter telle méthode éprouvée à telle tâche particulière ou à celle d’en coordonner plusieurs ; c’est pourquoi, la confrontation de points de vue, au cours d’une co-élaboration en petit groupe, semble leur être si profitable.

Ainsi, les dispositifs d’aides méthodologiques étudiés ici, bien qu’ils doivent encore être peaufinés, bénéficient nettement aux élèves en difficulté. Cependant, ni ils n’avantagent, ni ils pénalisent, les élèves qui réussiraient même sans eux.

De plus, il semblerait que les enseignements eux-mêmes soient bousculés par l’instauration de telles procédures pédagogiques. En effet, publier ses objectifs pédagogiques, en les harmonisant avec ceux des collègues, oblige à interroger les contenus notionnels des disciplines ; ceci beaucoup plus profondément, par exemple, que l’établissement d’une programmation annuelle qui peut se contenter d’une connaissance des programmes officiels. Rechercher l’opération intellectuelle nécessaire à la réussite des tâches proposées, en faisant correspondre plusieurs disciplines, conduit à s’écarter des exercices routiniers et à élaborer de réelles situations-problèmes. Instaurer des groupes de besoin, ou de remédiation, pose à l’enseignant le problème de ses propres stratégies pédagogiques, puisqu’il doit en déterminer d’autres, non immédiatement naturelles pour lui peut-être, mais bénéfiques à certains élèves.

Ainsi, le couplage de l’aide méthodologique et de la différenciation de la pédagogie semble nous conduire, nous enseignants, à prendre du recul par rapport à nos méthodologies d’enseignement… à notre plus grand profit ?

 

 

Objectif apprendre. Un dispositif de différenciation au cycle III

Michel Grangeat - Article paru dans le n° 321-322 des Cahiers pédagogiques (1994)

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Le mode de fonctionnement qui est présenté ici est celui qui a cours, depuis trois années scolaires, dans l’une des écoles d’application associées au centre IUFM de Chambéry. Ses neuf classes accueillent, à la fois, des enfants de familles favorisées, venus de quartiers anciens en cours de rénovation, et, d'autres, en plus grand nombre, issus de quartiers populaires construits au début du siècle. Le projet de l'équipe éducative consiste essentiellement à faire cohabiter harmonieusement plusieurs cultures, à permettre aux enfants de s'enrichir grâce aux différences, et, à fournir à chacun, quel que soit son niveau de développement, les moyens d'apprendre et de réussir à l'école.

Dans ce but, les enseignants du cycle des approfondissements ont mis en place un fonctionnement fondé sur l'élucidation de leurs objectifs, sur l'harmonisation de leurs progressions disciplinaires et sur la pratique d'une pédagogie différenciée. Ce fonctionnement est concrétisé par la publication régulière des objectifs notionnels et par la pratique de groupes de besoin regroupant les élèves de quatre classes.

Un fonctionnement de cycle fondé sur la publication d'objectifs opérationalisés.

En début de chaque année scolaire, les progressions disciplinaires de chacun des enseignants sont confrontées et harmonisées, de manière à aborder simultanément, quand elles sont communes aux trois années du cycle, les notions essentielles, noyaux durs du programme dont l'appropriation déterminera la compréhension de pans entiers de connaissances. C'est ainsi, par exemple, que les activités scientifiques, qui font l'objet d'échanges de services, sont planifiées ou que des thèmes de travail communs sont fixés pour les activités de maîtrise de la langue. Un calendrier fixant ces différents moments détermine une référence partagée par tous.

Le rythme de ce fonctionnement est celui de la période qui dure en moyenne sept semaines et qui court de vacances à vacances. Chaque période est découpée en trois parties : la première pendant laquelle le travail se déroule en groupes classes hétérogènes, la seconde durant laquelle les élèves sont répartis en groupes de besoin et la dernière consacrée aux évaluations.

Quand débute la période, la structure de la classe peut être qualifiée de traditionnelle, chaque enseignant retrouvant les mêmes élèves, ses élèves, pour toutes les activités autres que scientifiques. Cette phase d'acquisitions notionnelles mobilise, cependant, les démarches de projet, les références à des pratiques sociales identifiées, les moments de différenciation immédiate, ou la réflexion méthodologique.

Entre la troisième et la cinquième semaine de la période, selon l'âge des enfants, les objectifs opérationnels, formulés en terme de tâches à réaliser, sont communiqués aux élèves. Ces listes d'objectifs sont commentées collectivement et chaque élève indique, par un système de cases à cocher, la manière dont il pense dominer chaque objectif fixé. Ce moment est très important, pour l'élève amené à porter un regard sur un savoir objectivé, mais, également, pour l'enseignant qui peut, dès lors, s'appuyer sur la conscience que l'élève a de ses propres compétences pour lui fournir les aides nécessaires. Cette liste est alors communiquée officiellement aux parents des élèves.

CM 2 * MATHÉMATIQUES * NUMÉRATION

Ce que je dois être capable de faire à la fin du mois d'octobre :

Je sais écrire sous la dictée :                oui                un peu                non

Les nombres de neuf chiffres.                                       

Les décimaux qui ont deux chiffres après la virgule.                            

Je sais décomposer :                                       

Un nombre entier [ 40 506 = (4 x 10 000) + (5 x 100) + (6 x 1) ]                                        

Un nombre décimal : [ 40,56 = (4 x 10) + (5 x 0,1) + (6 x 0,01) ]                                       

Je sais ranger dans l'ordre croissant :                                       

Cinq nombre entiers.                            

Cinq nombres décimaux.                                       

Exemple de grille d'objectifs.

Après ces deux phases, s'organise la répartition en groupes de besoin dont les thèmes ont été fixés en conseil de cycle par les enseignants. Au fur et à mesure de son avancée dans le cycle, l'élève est amené à choisir lui-même le groupe qui lui convient pour une période donnée. Les élèves qui ont besoin, non pas d'un soutien, mais d'un approfondissement sont regroupés sous l'égide d'un seul enseignant ; les autres bénéficient alors d'effectifs un peu allégés. Pendant deux semaines par période, sept à huit matinées sont ainsi consacrées au travail en classes éclatées pour une séance de français et une de mathématiques, durant quarante minutes chacune.

Suite à ces groupes de besoin ont lieu les évaluations portant sur des thèmes pour lesquels l'enfant commence à posséder un certain recul du fait du travail antérieur et des réflexions qu'il a été amené à conduire. Les consignes des exercices d'évaluation, qui portent, naturellement, sur les objectifs communiqués aux élèves, sont exprimées dans les mêmes termes que ces derniers, ceci afin de faciliter le rapprochement entre ce qui est évalué et ce qui a été appris.

Après les évaluations, l'enfant colorie les cases en regard de chaque objectif, soit en vert, si la réussite à l'exercice correspondant a été totale, soit en orange, si celle-ci n'a été que partielle, soit, enfin, en rouge, en cas d'échec. Un entretien individuel, appuyé sur cette "photographie tricolore" permet de faire le point sur l'état des connaissances de chacun, sur ses méthodes de travail et sur son comportement en classe. La période suivante tentera de remédier aux difficultés persistantes.

Un dispositif bénéfique, à plusieurs égards ...

Bien que l'équipe enseignante ait été modifiée plusieurs fois, ce mode de fonctionnement perdure ce qui permet de penser qu'il est pertinent. Il est intéressant, par contre, de s'interroger sur la portée de la publication des objectifs de chaque période. Les recherches que nous avons pu mener montrent que cette communication des objectifs aux élèves favorise leur réussite et cela de plusieurs manières :

- elle stimule l'automotivation. Concrétiser l'écart entre ce qui est attendu par l'enseignant et sa propre performance par un codage facilement lisible incite l'élève à l'action. Cette aide fonctionne bien avec les élèves obtenant certaines réussites ; elle est également profitable aux élèves en difficultés dans la mesure où la médiation de la grille d'objectifs peut contribuer à diminuer la part affective et irrationnelle qui régit, souvent, les rapports entre eux et l'enseignant.

- elle aide à donner du sens à l'enseignement dans la mesure où elle fournit des informations pertinentes sur la tâche à réaliser. Cet appui est bénéfique aux élèves en difficultés, qui ne savent pas, seuls, décoder la situation éducative afin de repérer les points sur lesquels doivent porter leurs efforts. Les parents des élèves apprécient également ce dispositif, apparemment pour la même raison : ils se représentent beaucoup mieux les attentes des enseignants.

- elle permet d'attester les réussites et d'identifier les lacunes, dans des domaines cognitifs circonscrits. Ainsi se constitue le substrat indispensable à une réelle différenciation de la pédagogie. Dans ce sens, la communication des objectifs, telle qu'elle est conçue ici, est très profitable aux élèves fréquemment en difficultés. Ces élèves sont, de plus, très favorables aux groupes de besoin où ils trouvent que l’on respecte mieux leur rythme de travail, mais aussi, où ils osent poser des questions qui, à leurs yeux, les déconsidéreraient, vis à vis de leurs camarades plus débrouillés et, enfin, où ils reprennent les notions difficiles sous un autre angle et avec un autre adulte que leur enseignant habituel.

Cette importance des groupes de besoin permet, aux élèves en difficultés, de ne jamais recommencer une année complétement "à l’identique" ; de plus, ceux qui sont les plus lents, qui "se réveillent" en cours de troisième année, peuvent éviter le "redoublement", grâce à la marge de flottements autorisée par l’organisation en cycle.

Les enseignants apprécient surtout, dans ce dispositif dont ils ont l’entière maîtrise, l’apport du travail d’équipe qui, une fois passée la fastidieuse mise en route, permet de gérer collectivement les situations difficiles et de rendre les pratiques pédagogiques plus efficientes grâce à leur confrontation et à leur harmonisation. En fin de compte, le travail leur semble plus facile, même si la gestion du quotidien des groupes de besoin nécessiterait, vraiment, l’adjonction d’un enseignant supplémentaire afin de réduire profitablement les effectifs pendant cette période.

... mais non sans dérives.

Il y a donc, dans l'entrée par les objectifs, de grands avantages pour la pédagogie. Ils concernent la planification rationnelle des activités, l'effet rétroactif de ce mode de fonctionnement qui se conforte lui-même une fois lancé, ou, encore, l'ouverture d'un champ de réalisations concrètes favorable à la concertation entre enseignants. Ces avantages contrebalancent les inconvénients réels de cette démarche. L'écueil le plus important, est celui de la parcellisation des savoirs. Afin de l'éviter, il convient de permettre à l'élève de prendre du recul par rapport à ce savoir afin de réfléchir à ce qui est appris et à la manière de réussir. C'est, d'ailleurs, ce que font intuitivement les élèves qui réussissent et, c'est pourquoi, cette réflexion est à instituer, pour tous, grâce à la pratique d'activités mettant en jeu la métacognition.

Michel  GRANGEAT

Chambéry, mai 1993

 

 

COMPRENDRE pour RÉUSSIR. Influence de la métacognition sur la réussite

Michel Grangeat - Article paru dans le n° 320 des Cahiers pédagogiques (1994)

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Apprendre, c’est comprendre, c’est "prendre avec soi" une connaissance nouvelle pour en faire un savoir personnel ; cela exige un questionnement sur cette connaissance et sur la manière de l'acquérir, nommé métacognition. Pratiquée intuitivement par les élèves qui réussissent, cette réflexion est à instituer pour tous. Ce texte étudie son influence en prenant l’exemple de classes de sixième d’un collège de Zone d’Éducation Prioritaire.

Dans l’établissement étudié, une recherche a été menée avec des professeurs qui se sont concertés, tout au long de l'année scolaire, pour rendre plus cohérent leur dispositif d’enseignement en développant cinq points du projet d’établissement : utiliser l'évaluation nationale, organiser des groupes de besoin, déterminer les difficultés d'ordre méthodologique, publier des objectifs notionnels et instaurer un climat respectueux d'autrui. L'attribut commun à toutes ces actions, c'est la centration sur la réflexion par rapport à la manière d'apprendre, c'est la prise de recul par rapport aux connaissances enseignées. Cette attitude est constitutive de la métacognition, qui recouvre, cependant, un domaine beaucoup plus large ; néanmoins, nous pouvons chercher si ce dispositif d'enseignement, fondé sur une attitude de métacognition, améliore la réussite des élèves.

Utiliser l’évaluation d’entrée en sixième

Pour tester la validité de ces actions, la recherche est centrée sur trois classes dont les professeurs de français et de mathématiques répartissent, une fois par semaine, leurs élèves en groupes de besoin. Afin de mieux éclairer l'intérêt de ces pratiques pédagogiques, leurs résultats ont été comparés à ceux d'un groupe, servant de témoin, sélectionné dans un collège semblable à celui où se déroule la recherche mais où les professeurs ne pratiquent pas, de manière concertée, d’activités de métacognition ou de différenciation.

Pour mesurer l'évolution de la réussite, l'évaluation d'entrée en sixième a été choisie afin d'alléger au maximum les contraintes dans les classes, et, de situer la recherche au niveau de ce qui peut être entrepris par toute équipe pédagogique désireuse d'améliorer ses pratiques. Tous les exercices n’étant pas pertinents pour tester la validité de l’hypothèse, quatre d’entre eux, nécessitant un traitement de l'information, ont été sélectionnés dans la partie mathématique de l'évaluation (n° 3, 4, 7 et 36 de l'année 1992). Comme ils mobilisent peu la restitution de connaissances ou la reproduction de procédures, ce n’est pas simplement l’enseignement mathématique qui est évalué ici mais plutôt la capacité à construire un raisonnement. À la fin du second trimestre, un test final, aux structures identiques à celles du test d'entrée, contrôle l'évolution des résultats.

L’équipe pédagogique a décidé de repérer les élèves grâce à trois catégories : la A pour les élèves ayant un nombre de réussites supérieur à 8 items sur 11, la B pour ceux dont le score est compris entre 8 et 6, et la C quand celui-ci est inférieur à 6.

Une progression significative

Dans le collège étudié, les résultats à ces évaluations montrent une amélioration significative des réussites : la catégorie C passe de 29%, en septembre, à 14%, en avril, soit une baisse de 15%. Cette amélioration est confortée par l’étude du nombre d’items réussis qui montre une sensible progression des réussites (30% des élèves gagnent au moins 2 points) ; cette évolution s’accompagne d’une faible proportion d'enfants qui régressent (4% perdent au moins de 2 points).

Dans le collège témoin également, l'amélioration de la réussite est attestée. Toutefois, passant de 18 à 7%, la catégorie C diminue moins que dans le collège étudié (11%). L’étude du nombre d’items réussis montre, d’ailleurs, une proportion non négligeable d'enfants qui régressent (12% perdent au moins 2 points) et, simultanément, une progression des élèves plus sensible que dans le collège observé (35% de l'effectif).

De manière à affiner la comparaison, deux échantillons identiques d’élèves avaient été sélectionnés en appariant leurs résultats à l’évaluation de septembre. L'évolution de ces élèves confirment les tendances observées dans les classes : la réduction de la catégorie des élèves en difficultés, notamment, qui est moindre dans le collège servant de témoin. Initialement, la catégorie C représentait 23% des échantillons ; en avril, elle ne représentait plus que 4% de celui du collège étudié, contre 11% pour le collège témoin. Ceci est confirmé par l’étude du nombre d’items réussis.

Ces résultats corroborent ceux d'études sociologiques qui montrent "que les scolarités au collège accentuent encore les écarts existant à l'entrée, les élèves initialement les plus forts progressant davantage que les élèves initialement les plus faibles" *.

Réduire l’hétérogénéité

Nous pouvons donc conclure que les actions menées dans le collège étudié contribuent à réduire l'hétérogénéité en diminuant la divergence de résultats entre ceux qui ont de plus en plus de réussites et ceux qui, sans ces dispositifs de différenciation et la réflexion de l’équipe éducative, s'enfermeraient dans les difficultés.

Cette différence de résultats est accentuée par l'écart de composition sociologique entre les deux collèges. En ce qui concerne les critères généralement observés (l'âge, l’origine géographique, et la proportion d'enfants issus de catégories sociales "défavorisées"), les deux échantillons sont semblables ; par contre, ils divergent si l'on compare la catégorie socioprofessionnelle de la mère et la composition de la famille. Or, des analyses récentes montrent qu'à niveau de ressources culturelles global comparable, c'est dans les familles où la mère est la plus instruite que les enfants réussissent le mieux. Dans les deux échantillons, la proportion de mères appartenant aux catégories socioprofessionnelles moyennes ou favorisées passe de 17% pour le collège étudié à 42% pour le collège témoin ! De plus, à milieu social égal, l'influence du nombre d'enfants par famille est déterminante ; les enfants de familles n'en comportant qu'un ou deux ayant une meilleure réussite*. Or, entre les deux échantillons, les compositions familiales sont opposées : dans le collège étudié 70% des familles ont plus de deux enfants, alors que, dans l'autre, 62% en ont deux, au plus !

Ainsi, malgré la similitude des grands critères de répartition, l'amélioration des réussites scolaires s'effectue, pour le collège de ZEP où se déroule la recherche, avec un handicap lié à des facteurs sociologiques fins, mais déterminants : la catégorie socioprofessionnelle des mères, donc leur niveau d'instruction, et la taille des familles, donc les conditions de travail des élèves à la maison. Ce qui justifie totalement les structures d'aide au travail personnel des élèves.

Un perfectionnement envisageable

L'analyse fine des résultats des actions menées atteste donc de l'amélioration de la réussite dans le collège où se déroule la recherche et la comparaison des deux établissements laisse apparaître quelques résultats essentiels :

- dans les deux groupes, les résultats s'améliorent, mais, dans le collège étudié, la proportion d'élèves en difficulté ou en échec reste importante, comme dans toute Zone d'Éducation Prioritaire.

- l'action menée par les professeurs de ce collège, visant à prendre du recul par rapport à l'acte d'apprendre, permet de réduire notablement l'hétérogénéité des élèves en diminuant fortement la proportion d'enfants en difficulté et, également, en annulant quasiment la part de ceux qui régressent entre les deux évaluations.

- la part des élèves qui progressent, dans le collège étudié, semble en deçà de celle du collège témoin, ce qui montre qu'un perfectionnement de l'action est envisageable. Celui-ci devrait se structurer autour d’une dévolution plus organisée des activités métacognitives en direction des élèves eux-mêmes.

Ce que pensent les élèves à propos des actions menées

Quelques élèves ont été interrogés dans le but d'identifier les dispositifs pédagogiques qu'ils avaient perçus comme importants.

De manière manifeste, l'action visant à l'amélioration du climat de l'établissement par un meilleur respect des autres est très appréciée des élèves de sixième qui ont fait des progrès. Pour eux, "la discipline, ça marche" car cela permet de mieux écouter en classe et, donc, de mieux comprendre.

Les groupes de besoin leur sont utiles car ils permettent de "faire beaucoup d'activités". Cependant, deux élèves n'avaient pas perçu le lien entre le travail de ces groupes et le développement du cours. Après réflexion, ils comprennent que les activités des groupes de besoin devançaient et préparaient la leçon. Lever l'implicite du dispositif pédagogique, même le plus centré sur les élèves, de manière à ce qu'ils en profitent au maximum semble, donc, une réelle piste d'amélioration pour l'avenir. De plus, ces groupes de besoin leur donnent le sentiment de "travailler mieux puisqu'il y a moins d'élèves" mais aussi parce que les "bons" sont avec les "bons" et les "mauvais" entre eux ; mais ils ne savent pas s'ils sont "bons" ou "mauvais". Cette ignorance comporte un aspect positif, elle montre que ces groupes n'étaient pas des groupes de niveau, mais, elle est également néfaste puisqu'elle dénote un manque d'auto-évaluation.

Les objectifs distribués en cours d'année induisent ce comportement évaluatif, d'autant plus que ceux-ci "reviennent dans les questions du contrôle." Reprendre la grille, remplie avant le contrôle, permet de mieux réviser. À les entendre, ces enfants ne travaillent pas seuls et la grille d'objectifs semble un guide pour l'adulte qui les aide. Développer, par des pauses méthodologiques intégrées à l'enseignement, des capacités d'auto-évaluation trace, donc, une autre piste d'amélioration de l'efficacité des pratiques pédagogiques.

Enfin, tous remarquent qu'ils comprennent beaucoup mieux le professeur qu'au début de l'année scolaire ; même en insistant, ils ne pensent pas que cela soit dû à un changement de leur part. Cette absence d'assurance, quant à sa propre pensée, peut dégager une troisième piste d'action pour l'avenir, d'autant plus que ces élèves sentent que, bien qu'ils écoutent, ils n'arrivent pas "à tout garder" et qu'ils ne savent pas nécessairement déterminer l’essentiel du cours.

Michel Grangeat